jeudi 2 août 2007
Nostalgie, tristesse, furie... et steak tartare
... my life had changed. Not in the way I'd thought, though. I hadn't met the woman I was to go gray with. I was twenty years old, and by the time I was twenty one, I'd be heartbroken. I didn't know that then.
Il y a dix ans, le 2 août 1997, je quittais Vienne après un séjour d'un mois en compagnie de mon acolyte L. Un mois insouciant et heureux, passé à fréquenter les cours d'allemand le matin (séparément : L. dans le groupe de linguistique, et moi dans le groupe de littérature), et à déambuler dans la ville le reste du temps (séparément aussi). Le soir, L. et moi nous retrouvions à la terrasse du Fischer Bräu, tout près de notre résidence universitaire. Un vrai coin de paradis, dont je n'ai trouvé d'équivalent nulle part ailleurs sur terre. A la carte : des tartines (froides et chaudes), des plats simples et nourrissants (escalopes géantes, ribs gargantuesques...). C'est là que nous passions quasiment toutes nos soirées, dans une atmosphère douce et indolente. Je me souviens d'un soir où L. m'avait laissée seule avec mon assiette de gebackene Mäuse* pour se rendre chez le coiffeur, et revenir une heure plus tard comme si de rien n'était. Il était spécialiste de ce genre de choses totalement incongrues.
Je donnerais cher pour remonter dans le pater noster qui menait au resto U, m'asseoir à une table du Kleines Café, ou réentendre la voix qui annonçait les stations dans le tram (existe-t-elle encore d'ailleurs ? je frémis à l'idée qu'on puisse la changer ou la supprimer, mais heureusement je possède des enregistrements). Je donnerais cher pour réécouter L. faire le récit de ses journées dans les piscines en plein air de la ville, ou de ses déjeuners à l'épicerie bio. Je donnerais cher pour me retrouver au cinéma Bellaria, où nous avions vu M le Maudit, ou au milieu des rayonnages de la librairie Morawa.
Je pourrais continuer sans fin...
Ces jours-ci, tous ces souvenirs remontent à la surface et m'emplissent de nostalgie. Je me souviens que c'est pendant cette période que j'ai découvert le cinéma de Haneke. Ulrich Mühe, qui jouait dans plusieurs de ses films, et dont on a pu récemment mesurer tout le talent dans La vie des autres (Das Leben der Anderen), est mort il y a dix jours. Je devais être bien absorbée dans mes angoisses doctorales et existentielles pour passer à côté de cette triste nouvelle, car elle n'est parvenue à moi qu'une semaine après. Mais sa mort me laisse inconsolable.
Enfin, pas complètement. Dans les périodes moroses comme celle que je traverse actuellement, il est quand même une chose qui me réconcilie totalement avec la vie, en plus des gâteaux au chocolat et des cheesecakes : c'est la viande rouge. Bien saignante, voire crue. Pour une carnivore comme moi, c'est le must.
Un soir où j'étais à bout de nerfs (en furie plutôt : j'avais envoyé valser un tas de choses dans la cuisine) parce que tout allait de travers, j'ai ouvert Recettes immorales de Manuel Vázquez (aux Editions de l'Epure) à la page 92 et j'ai préparé un steak tartare en m'inspirant de la recette.
Mon poulet a trouvé que la colère me réussissait pas mal.
Steak tartare
par personne
150 g de boeuf haché (demandez à votre boucher le morceau qui convient le mieux)
1 jaune d'oeuf
1/4 d'oignon rouge haché
1 cornichon haché
1 c.c. de câpres
1 c.c. de persil haché
un peu d'huile
moutarde
sauce Worcester
ketchup
Tabasco
sel et poivre noir fraîchement moulus
La recette... Il n'y a pas de recette, il suffit de tout mélanger, d'assaissonner à son goût.
J'ai servi ce tartare avec des pommes de terre sautées (avec du beurre et de l'ail pressé, comme j'aime).
******
* Littéralement "souris rôties". Il s'agit de beignets en fait, qui étaient servis avec des morceaux de poires, des airelles et de la sauce chocolat. Le genre de dessert que vous ne voulez pas partager tellement c'est bon...
Image : Mondkugel, de Franziska Smolka (1995)
16 commentaires:
Je suis toute emue de te lire du hall de mon hotel a Porto...
Quant aux morts, je ne m en remet toujours pas de celles de Bergmann et d'Antonioni.
A bientot chere mingoumango.
Un beau billet nostalgique... La vie n'est pas toujours facile.
En tout cas, ton tartare à l'air succulent! J'adore ton assiette.
Bises,
Rosa
Et si je te disais que le temps n'existe pas, qu'il n'est qu'une illusion... les tranches de vie se superposent les unes sur les autres modifiant imperceptiblement les choses, mais le fond reste le même. Bonne journée.
Je ne partage pas ton amour pour le steack tartare et pourtant il y a quelque chose dans ce billet qui s'appelle la nostalgie amère. Et cette chose-là, je la comprends car je l'ai vécue. Juste te dire d'aller de l'avant, qu'on ne revient jamais en arrière mais que le destin n'est pas écrit pour autant. Beaucoup de pages restent à écrire ;-)
Emotion partagée pour das Leben der Anderen ;-)
très émouvant, merci de nous liver ce beau moment si personnel!!
Parfois, la colère est saine.
Je connais ces phases de nostalgie et je comprends que le décès d'un "personnage" de la vie puisse les déclencher.
Mais ce qui peut changer est résolumment demain.
Ahhhh l'amour !
Des couches superposees de bonheur et de douleur, comme dit Gato Azul. Pourtant il me semble que le temps adoucit, arrondit les souvenirs.
Quand je viens te lire, je me passe Leonard Cohen, qui me ramene 25 ans en arriere, dans des lieux et aupres de gens que je n'ai plus revus.
De tout ca, il te restera un jour les images, la musique, et une douce nostalgie.
Et puis non, meme pas peur, quand tu veux tu me ramenes des macarons :)
Ton billet m'a beaucoup touchée. Sans doute parce que j'adore le steak tartare et Ulrich Mühe, mais aussi, parce qu'un an après toi, c'était mon tour de fréquenter le cours de langue de l'université de Vienne, section littérature. Alors, ça m'a rappelé des souvenirs. Bon courage dans ta lutte contre la morosité!
nous sommes ce que nous avons ete avec les souvenirs les coleres les regrets en plus...ce qui fait de nous des etres riches et uniques...merci de partager avec nous ce beau souvenir et le steack tartare...
joli post,
le premier qui me touche autant et me fais poster un comentaire.
Il sent tellement la "fin" de these pour moi... Le truc qui fait que tout resort en vrac...
Courage
(je suis plus gateau que viande crue, meme si l assiette est jolie)
Non seulement on ne s'en va pas en courant, mais on revient encore et encore... pour la pudeur avec laquelle, justement, tu exprimes tout cela, au fil de tes billets. Figure-toi que je pars à Vienne la semaine prochaine, je serai à l'Université, et j'aurai une pensée en allant faire un tour au Fischer Braü... Ton tartare a une mine superbe, j'adore ça, tout comme le cinéma de Haneke. A bientôt !
Tout est d'une grande beauté dans ce billet... ton récit, tes émotions, ta recette, tes photos si joliment colorées...
Je crois que nous connaissons tous ces périodes de mélancolie plus ou moins colérique... en tous cas je ne pars pas en courant... je reviens dès la prochaine recette ;)
(et puis tu n'as pas à te "justifier" un blog est par définition un espace intime qui t'appartient et où tu peux raconter Ce Que Tu Veux... enfin, c'est mon avis)
c'est vrai ? tu sautes pas sur toutes les filles dans la rue ? :)))) y'avait un créneau porteur pour ton blog pourtant :op
Parfois dans la vie des choses nous échappent ... Ce qui m'attriste un peu, c'est les circonstances dans lesquelles elles ressortent :( j'espère qu'un petit cheesecake te fera du bien
Des bises!
S'autolimiter c'est aussi etre libre...
secoues toi!tu es plein de larmes...
et ne te retournes pas.
Moi aussi, ton billet original m'avait émue. Au point que, faute de temps au moment de ma lecture initiale, je l'avais bookmarké pour revenir te laisser un commentaire, mon premier depuis que j'ai commencé à te lire. Et puis, surprise ! quand je suis revenue, tu l'avais édité. Et quand j'ai rafraîchi à nouveau la page, histoire d'être sûre, l'accès à tout ton blog était devenu protégé...
Je ne suis pas non plus branchée tartare, mais des morceaux de ce billet-là (comme d'autres que tu as écrits) me parlent, profondément. Je trouve difficilement mes mots, mais... Disons : merci, et essaye de croire en toi (çà, c'est plutôt en réaction au 17 juillet...). Quant à la colère, il paraît que c'est une chose très saine, au contraire de ce que la société nous apprend. C'est, paraît-il, ce qui nous permet de nous construire, sainement, et sans chercher à soumettre les autres. Juste en affirmant son identité propre. Alors n'hésite pas : quand tu es en colère, sois en colère! :-)
(C'est marrant, je suis justement allée à Vienne le week-end dernier.
Trop court pour tout découvrir, je serais bien restée un peu plus longtemps.
Nous sommes allés au Kleines Café d'ailleurs, un peu par hasard.
Il y a toujours la voix qui annonce les stations dans le tram :)
Mon allemand n'est vraiment pas top, ça m'a frustré...
En ce qui concerne le steak tartare, il y a bien longtemps que je n'en ai pas mangé... Slurp.
Bonne journée, et bon week-end ! :))
Enregistrer un commentaire